Insécurité : le labeur des paysannes haïtiennes

Par Magdala Louis

Les madan sara (paysannes faisant de l’import export entre les marchés et les jardins) de Kenskoff face au déploiement des gangs armés.

À Tête de l’Eau, au cœur de l’effervescence des marchés haïtiens, les madan sara s’activent, incarnant la résilience et la force des femmes dans l’économie informelle. Ces marchandes intrépides, souvent oubliées dans les discussions économiques, jouent pourtant un rôle central dans le commerce local et national.
Chaque jour, ces femmes transportent et vendent fruits, légumes, grains et autres produits essentiels, reliant les zones rurales aux centres urbains. Elles sont à la fois acheteuses, vendeuses et intermédiaires, faisant circuler des marchandises malgré des conditions de travail difficiles. À Tête de l’Eau, la vie de ces madan sara est rythmée par des journées interminables et des défis constants.

« Nous ne vendons plus »

Mickerline Jean, une madan sara active depuis 10 ans, confie : « Nous ne vendons plus. J’ai acheté 50 000 dollars de marchandises, sans compter les frais de transport. On a volé une partie des marchandises, une partie est en train de pourrir faute de client, je ne crois pas que je récupérerai 10 000 dollars parmi les 50 000 investis. »


Leur activité est fragilisée par plusieurs facteurs : l’insécurité qui menace leurs déplacements, les clients habituels qui abandonnent le pays ou la capitale, les mauvaises infrastructures et l’absence de soutien gouvernemental. Nombreuses sont celles qui doivent emprunter à des taux exorbitants pour financer leurs marchandises, risquant ainsi de s’endetter lourdement.

“J’ai acheté 25 000 dollars de marchandises à crédit dernièrement, j’étais en route pour aller rembourser et acheter à nouveau. C’est sur place que j’ai remarqué que je n’avais qu’un seul dollar dans le petit sac. Ils ont tout volé« , déplore Dieula Laguerre, l’une des madan sara à Tête de l’eau.

Dans le texte “L’autre moitié du développement” de l’économiste et féministe Mireille Neptune Anglade sorti en 1986, l’auteure présente, à son époque, les madan sara comme des femmes d’un échelon supérieur. Suite au mouvement des femmes haïtiennes du 3 avril 1986, le travail des femmes est plus au moins valorisé dans la société haïtienne. “Elles sont présentées comme pourvoyeuses de familles », écrit l’économiste Anglade. Selon cette dernière, dans la marge de pourcentage de bénéfice, les revendeuses urbaines, comme le cas des madan sara à Tête de l’eau, sont les moins bénéficiantes. Au vue de l’insécurité conjoncturelle et du manque d’infrastructures, elles doivent tout payer plus cher et garder un équilibre avec le prix des produits à revendre pour rester dans la concurrence.


Malgré tout, les madan sara restent un moteur indispensable de l’économie, leur travail étant essentiel pour garantir l’approvisionnement des marchés. Leur contribution mérite non seulement une reconnaissance mais aussi des actions concrètes pour améliorer leurs conditions de vie et de travail.


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