Droit au logement : le combat des déplacées haïtiennes

Par Thara Saint-Hilaire

Angeline, Haïtienne et déplacée interne de Port-au-Prince. Crédit : Thara Saint-Hilaire.

Angeline a 50 ans. Depuis plus d’un an, elle survit dans un abri de fortune sur l’un des 134 camps de personnes déplacées internes (PDI) de la zone métropolitaine de Port-au-Prince. Comme elle, des milliers de femmes ont fui la terreur imposée par les gangs armés qui ont pris le contrôle de la quasi-totalité de la capitale haïtienne. Après la fuite, elles font face à un nouveau combat : trouver un logement digne. Une épreuve quotidienne marquée par la discrimination et la précarité. 

Evolution de la situation de déplacement entre 2022 et 2024 (OIM-DTM9)

Depuis 2021, Haïti vit une crise humanitaire sans précédent. Les affrontements entre gangs et forces de l’ordre ont poussé plus de 300 000 personnes à l’exil interne. Mais depuis février 2024, la violence a changé de visage : les groupes armés ont unifié leurs forces sous la coalition Viv Ansanm (Vivre ensemble), réduisant à peau de chagrin les zones épargnées par leur emprise. Selon les derniers chiffres de l’Organisation internationale pour les migrations (OIM-DTM 9), le nombre de PDI dépasse désormais le million, avec 186 298 personnes entassées dans une centaine de camps improvisés dans la capitale d’Haïti.

Désagrégation par sexe & age des PDIs dans les sites de la ZMPAP ( OIM -DTM 9)

Un droit fondamental bafoué

Le droit au logement est reconnu par le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (PIDESC), ratifié par Haïti. Plus précisément, l’article 22 garantit ce droit à un logement décent. Pourtant, sur le terrain, les réalités sont toutes autres. Maître Jean Lucas, avocat au barreau de Port-au-Prince alerte sur l’ampleur de la crise : « Le droit au logement n’est pas une faveur mais une obligation légale de l’État haïtien. Pourtant, les déplacés internes, et en particulier les femmes, sont abandonnés à leur sort. Les expulsions illégales des camps, l’inaction des autorités et l’absence de politiques de relogement sont autant de violations graves du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (PIDESC). Nous assistons à une double injustice : ces femmes fuient la violence des gangs pour se retrouver piégées dans une précarité institutionnalisée, sans accès à un logement digne et sécurisé. »

Les camps de fortune sont installés dans des écoles, des bâtiments publics ou des terrains appartenant à des congrégations religieuses. Une situation qui les expose à des expulsions forcées et à un manque criant d’infrastructures. « Les latrines sont insuffisantes et insécurisées, les femmes et les filles y sont particulièrement vulnérables. Elles subissent du harcèlement et subissent des cas de protection », explique Jaudel Africot, responsable de projet de gestion de sites pour une ONG internationale.

Lors d’un groupe de parole animé au lycée Marijan au début de mois de mars 2025, l’un des plus grands sites de la ZMPAP, plus d’une vingtaine de femmes ont dénoncé les abus sexuels qu’elles subissent ainsi que les cas d’exploitation et de violences. « On nous demande des faveurs pour avoir accès à un espace plus sécurisé. Je préfère rester ici que d’être humiliée », confie une mère de trois enfants.

Groupe de parole sur les abus sexuels dans les sites de PDIs, Mars 2025. Crédit : Thara Saint-Hilaire.

Des logements inaccessibles et une discrimination rampante

Pour celles qui tentent de quitter ces camps, le marché immobilier est une impasse. Les rares quartiers épargnés par les gangs – Pétion-Ville, Juvénat, Canapé-Vert, Delmas 75 – voient leurs loyers s’envoler. « Je ne veux pas louer à n’importe qui, surtout avec tous ces déplacés. Il pourrait y avoir des bandits parmi eux », avoue Phara, propriétaire d’une maison à Pétion-Ville.

Maxime, propriétaire d’appartements à Delmas 75, a préféré retirer ses biens du marché locatif, craignant pour sa sécurité. De nombreux bailleurs imposent des critères draconiens : documents d’identification, garant solide et vérification de l’ancienne adresse. « Si vous venez d’une zone sous contrôle des gangs, inutile d’essayer », tranche Dufresne, propriétaire à Juvénat.

La peur de circuler en raison des lynchages publics (“Bwa Kale”) empêche les femmes de chercher un logement sur place. Elles se tournent vers les réseaux sociaux où les prix sont affichés en dollars et où les arnaques pullulent. « J’ai payé une avance pour un appartement qui n’existait pas. C’était tout mon épargne », raconte Vanessa.

Bretni Anne Yarah Dié, 21 ans, a fui Nazon avec sa famille, mais un premier obstacle s’est immédiatement imposé : le coût du logement. « Les loyers sont à minima de 3 000 à 3 500 dollars américains. C’est hors de portée pour nous », explique-t-elle. Leur seule alternative aurait été de se rendre aux Cayes, où vit sa grand-mère. Mais les routes nationales sont sous le contrôle des gangs, rendant tout déplacement extrêmement dangereux. L’aéroport, qui aurait pu être une autre option, est fermé depuis les attaques de début 2024. « Nous sommes pris au piège, sans issue en attendant, je suis à bourdon chez ma tante chez ma tante », dit-elle, impuissante face à cette impasse.

Nathalie, 20 ans, a eu plus de chance. Fuyant Carrefour Feuilles avec sa mère et sa sœur, elle a trouvé refuge grâce à son église. Mais toutes n’ont pas cette opportunité. Pour certaines, rejoindre des proches en province est une option mais encore faut-il braver les routes nationales sous contrôle des gangs.

Les ONG dépassées par l’ampleur de la crise

Malgré l’ampleur de la crise, la réponse humanitaire reste limitée et inadaptée aux besoins des déplacés internes. Dans les camps, les familles réclament des aides à la relocalisation ou des Activités génératrices de revenus (AGR) pour retrouver une autonomie, mais ces demandes restent largement insatisfaites. « On nous distribue des kits d’hygiène, des plats chauds  des bâches et des jerricans, mais cela ne nous donne pas un toit », témoigne Angeline . La majorité des organisations présentes se concentrent sur l’aide immédiate : eau, hygiène, assainissement (EPAH) et distributions de Non-Food Items (NFI), sans adresser la question du logement. Or, sans solution durable, les PDI restent piégés dans une précarité extrême, exposés aux violences et aux expulsions forcées. Selon Velphyne Pierre, coordinatrice de Gypsy Ayiti, les aides humanitaires sont insuffisantes et les femmes en sont les premières victimes. « Les fonds de relocalisation existent, mais les logements abordables sont inexistants. Elles n’ont nulle part où aller », déplore-t-elle. Face à l’ampleur de la crise, des solutions doivent être trouvées en urgence. Il en va de la survie et de la dignité de milliers de femmes haïtiennes.

La crise des déplacés internes en Haïti met en exergue l’incapacité des autorités et la fragilité de la réponse humanitaire face à une catastrophe en constante aggravation. Les femmes, premières victimes de cette insécurité grandissante, sont confrontées chaque jour à la lutte pour un droit fondamental : un toit. Entre discriminations, hausse des prix du logement et absence de solutions pérennes, elles se retrouvent piégées dans une précarité insoutenable. Les aides ponctuelles et la distribution de kits ne suffisent plus à répondre à l’urgence. En l’absence d’une politique de relocalisation véritable et d’un engagement sérieux en matière de logement, ces milliers de familles continueront à vivre dans ces conditions inhumaines



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